Northern Spirit : Il y 15 ans, les athlètes faisaient du CrossFit® de manière confidentielle, sur des terrains vagues ou dans des garages. Aujourd'hui, on a l'impression qu'il se passe quelque chose et que la discipline est en train de passer un cap. Comment jugez-vous l'évolution du CrossFit® en France ces dernières années ?
Daniel Chaffey : Il y a 15 ans, les pratiquants étaient des fous qui faisaient du CrossFit® dans leurs garages et j'en faisais partie. Eux sont les précurseurs. Après sont arrivés les gens qui recherchaient une discipline underground, un genre de Fight Club. Ils voulaient nager à contre-courant.
Aujourd'hui, celles et ceux qui poussent les portes des boxes n'ont jamais entendu parler des Games. Ils ont entendu des gens qui pratiquent le CrossFit® leur dire : « Tu veux te remettre en forme ? Tu veux bien vieillir ? Tu veux pouvoir skier sans avoir de courbatures au bout de trois jours ? Viens, avec moi, la meilleure chose pour toi c'est le CrossFit® ». Aujourd'hui on parle à ces gens-là. On a même des gens qui viennent dans une salle de CrossFit® parce qu'ils veulent faire partie de ce mouvement en plein essor et c'est génial.
Mais si on en est là aujourd'hui c'est parce qu'il y a 800 teneurs de boxes en France qui ont sacrifié beaucoup de choses ces 10-12 dernières années pour que le CrossFit® se développe. Ils ont mis tout ce qu'ils ont dans leur vie pour ouvrir leur salle. Ce sont des passionnés qui veulent partager le CrossFit® avec d'autres personnes.
La pratique sportive des Français est axée autour d'un seul sport alors que le CrossFit® est pluridisciplinaire. Justement, ça n'a pas été un frein à son développement en France ?
Le CrossFit®, c'est un programme de préparation physique générale. Beaucoup de gens viennent pratiquer du CrossFit pour jouir de leur sport. Le Français est footballeur, judoka, rugbyman, mais il peut être meilleur dans son sport en venant faire du CrossFit®.
Beaucoup de gens pensent que le CrossFit® est une discipline d'égo, d'entre-soi, de culte du corps. Vous pensez que ces préjugés sont en train de voler en éclat ?
Les préjugés sont toujours là, mais il faut bien comprendre que l'égo est un frein pour le Crossfitteur. Lors de chaque entraînement il y a un objectif fixe, qu'on essaie d'atteindre avec d'autres pratiquants. Si tu as un trop gros égo, le CrossFit® te le renvoie en pleine figure.
J'ai un gros égo, j'aime gagner, mais lorsque je m'entraîne, je prends une claque d’humilité, car je m’entraîne avec d'autres personnes, il y a cette dimension collective. Le CrossFit® est une bonne éducation pour maîtriser son égo.
Je vous pose cette question parce que je suis tombé par hasard sur un article de blog qui disait que le CrossFit® était en train de devenir un sport d'égo, avec des pratiquants qui se mettent en scène sur Instagram...
Le CrossFit® ce n'est pas un programme qu'on suit dans son coin en posant une caméra. En pratiquant le CrossFit® on n'est pas dans le paraître, on n'est pas dans l'esthétique. Je pense que les gens qui sont dans cet état d'esprit n'ont pas encore compris tous les bénéfices du CrossFit® à savoir la sociabilisation le bien-être mental, le développement des performances.
Beaucoup de pratiquants mettent en avant la dimension communautaire du CrossFit®. Ils ont l'impression d'avoir trouvé une famille et même parfois de pratiquer un sport collectif. Cette dimension collective est parfois difficile à saisir dans la mesure où le CrossFitteur est seul face à son WOD.
C'est comme un bon repas. A la maison je peux cuisiner de bons ingrédients, me faire une belle assiette et manger un délicieux plat. Mais je peux préparer le même repas et inviter des amis autour d'une table. Ces mêmes ingrédients prennent alors une autre dimension, une autre saveur parce que je les partage avec d'autres. C'est la même chose avec un WOD : je peux faire un WOD seul, mais le ressenti est différent si je le partage.
A titre personnel, c'est cette dimension collective qui vous a séduit, au-delà de l'aspect sportif ?Dans le passé, j'ai pratiqué des sports collectifs et j'aime cette dimension collective qui est difficile à retrouver quand on quitte son club. Avec l'âge, le travail, la famille, on a de moins en moins de temps pour se retrouver entre amis. Le CrossFit® permet de faire d'une pierre deux coups : de s'entraîner et de partager un moment avec d'autres personnes en même temps.
Comment le CrossFit® peut-il devenir un sport de masse en France ?
Les écoles, les services d'intervention, le ministère de la Santé sont des leviers qui pourraient permettre au CrossFit® de devenir un sport de masse avec un crédo : il vaut mieux prévenir que guérir. Le médecin est comme un sauveteur en mer et le coach de CrossFit® est comme un coach de natation : il vaut mieux savoir nager que d'avoir besoin d'être secouru en mer parce qu'on ne sait pas nager.
J'ai tendance à faire un parallèle entre le CrossFit® au MMA qui est aussi une discipline naissante et qui s'est heurtée à l'intransigeance de certaines institutions sportives françaises qui ont pu freiner son développement.
Le CrossFit® n'est pas qu'un sport, c'est une méthodologie. Je suis content de ne pas être dans une fédération car c'est un monde trop politisé. Certaines fédérations ont peut-être eu un avis négatif sur le CrossFit® parce qu'elles avaient peur, elles voyaient le CrossFit® comme un concurrent alors que ce n'est pas le cas. Le CrossFit® est pluridisciplinaire et son but n'est pas d'empêcher de pratiquer un sport, mais d'aider à mieux le pratiquer. On est là pour faire bouger les gens, et les préparer à mieux pratiquer leurs sports.
Vous qui êtes un pionnier du CrossFit® en France, comment voyez-vous l'avenir de la discipline ?
On vient de dépasser les 800 box de CrossFit® en France, ce qui fait de la France le deuxième plus important pays après les États-Unis. Cette croissance ne donne pas de signaux de ralentissement parce que la méthodologie est vraie et elle fonctionne. Dès que les gens sont touchés par le CrossFit®, ils ont envie de partager et cela permet de développer la pratique. Je pense que ça plafonnera à un moment donné, le nombre de nouvelles box va ralentir, mais le nombre de pratiquants par box va augmenter.
Les owners de box mûrissent, ils parlent à plus de monde et plus seulement aux gens qui leur ressemblent. Les box évoluent aussi. Au début elles ne proposaient que des entraînements pour adultes et aujourd'hui des séances pour les plus de 55 ans, les adolescents, les enfants. Nous apprenons à parler à une plus grande partie de la population.
Justement, vous avez fait un gros travail auprès des owners de box en les aidant à se structurer, à se professionnaliser, à gérer leurs box. Ce travail porte-t-il ces fruits ?
Le taux de réussite d'une box affiliée CrossFit® est de 95% sur 3 ans. Pour réussir, un teneur de box doit remplir trois objectifs : aimer pratiquer le CrossFit® ; aimer coacher ; bien gérer sa structure. Et beaucoup d'entre eux sont conscients qu'ils doivent apprendre à bien gérer leur box. Il faut savoir attirer des prospects, les convertir en nouveaux adhérents et les intégrer dans leur communauté existante. Le meilleur marketing pour une box c'est un adhérent qui a des résultats car ça va engendrer du bouche-à-oreille. Le bouche-à-oreille est notre plus grande force car la méthodologie fonctionne.